Monsieur le Président, Cher-e-s collègues,

Ces rapports nous donnent l’occasion de revenir sur la situation vécue au sein de l’ASE pendant la période de confinement, et à bien des égards, ce fut chaotique, tant pour les enfants dont notre collectivité a la responsabilité, que pour les professionnels qui se sont retrouvés très seuls dans cette période. Nous leur adressons nos sincères remerciements. C’est évidement insuffisant.

Je tiens d’abord à dire que si nous avons conscience qu’un moment de crise ne peut être totalement à l’image de ce qui se déroule en temps dits normaux, les temps de crise mettent toujours durement en lumière les carences. Il y en a et nous vous alertons depuis de nombreuses années à ce sujet. Alors même que le compte révèle un excédent de 664 millions.

Dans l’urgence et dans la confusion des premiers jours, il a été décidé de renvoyer une partie des enfants, placés en famille d’accueil, chez leurs parents alors même que le confinement, on le sait, a été un facteur majeur de difficultés supplémentaire et de recrudescence des tensions intra-familiales. D’autres ont été déplacés d’une structure à une autre pour permettre les placements d’urgence qui ont eu lieu pendant la période. Notons au passage, que ces placements d’urgence se sont faits dans un cadre très compliqué à vivre pour les familles et pour les enfants puisque les jugements se sont tenus uniquement en présence des parents, sans avocats, sans travailleurs sociaux, mais surtout sans les enfants, qui sont les principaux concernés dans ces situations.

Ainsi de nombreux enfants se sont retrouvés en structure collective, ou éloignés de leur famille d’accueil, avec une perte de repères d’autant plus forte que les adultes référents ont eux aussi changé.

Les équipes se sont trouvées très éclatées et réduites, en raison des gardes d’enfants, de l’âge, des fragilités de santé, certaines mises en retrait aussi, j’y reviendrai. Tout cela sur des équipes déjà épuisées.

Dans ce contexte, le moindre grain de sable bloque la machine, or la crise sanitaire a été bien plus qu’un grain de sable et a provoqué une désorganisation générale au sein des structures de l’aide sociale à l’enfance. Face à une pénurie d’agents, ceux qui sont restés ont du tout donner et se sont retrouvés à la fois éducateurs, aide-cuisiniers, enseignants, profs de sport, psychologues ou encore formateur d’étudiants venus en renfort.

Cela fait des années que nous vous alertons sur les conséquences de votre politique de réduction des services publics, des effectifs et des moyens donnés à ces services. Il y a quelques mois encore je vous faisais part de la souffrance vécue par les travailleurs sociaux de notre département, sous pression et démunis devant des situations nombreuses et de plus en plus complexes à gérer. Votre réponse qui consiste à dire « il y a des postes ouverts, ça ne répond pas » n’est pas satisfaisante. Il faut bien des gens pour s’occuper des enfants ! Vous disiez la même chose au sujet des médecins de PMI, vous avez fini par augmenter l’indemnité à l’embauche mais ça vous a pris de temps.

………..

Chaque jour fut géré dans l’urgence, sans réunion de service, et sans même avoir le temps parfois de lire les dossiers des nouveaux venus. Les agents se sont retrouvés à gérer des enfants sans repères, enfermés dans des petits espaces en sureffectif, sans possibilité de consacrer un temps privilégié individuel avec chaque enfant, et sans possibilité de garder un lien avec les familles puisqu’évidement les visites à domicile ont toutes été suspendues dans la période.

Des tablettes et des ordinateurs ont fini par être distribués mi-avril pour pouvoir au moins assurer le suivi scolaire, et avoir des échanges avec les familles, malheureusement nombre de tablettes ne fonctionnaient pas, et les ordinateurs ne disposaient pas de contrôle parental.

Les soins ont été suspendus également, faute d’infirmières et en raison de la fermeture des structures telles que les CMP. Pourtant 30% des enfants placés sont porteurs de handicap et ont besoin d’un accompagnement spécifique, qui n’a pas pu être assuré dans cette situation.

Pour les 50% placés en structures ou en famille d’accueil, nous savons comment ils ont vécu dans la période et on sait que grâce au dévouement hors norme, 24h/24 et 7jours/7 des agents mobilisés, éducateurs, maitresses de maison, étudiants, intérimaires, on sait que grâce à eux, ils ont vécu ce confinement en étant au moins protégés.

Le problème ce sont surtout les 50% restant :

  • Ceux qui sont retournés dans leur famille, alors qu’ils n’avaient plus l’habitude d’y aller qu’une à deux fois par mois et qui du jour au lendemain ont été contraints d’y rester pendant plus de 2 mois, alors même que le confinement a été un facteur certain de difficultés au sein de toutes les familles ;
  • Ceux qui ont rejoint leur maman qui n’a pas eu d’autres choix que de retourner vivre auprès d’un ancien compagnon violent ;
  • Ceux qui ont été séparés de leurs frères et sœurs ;
  • Ceux qui aujourd’hui ont du mal à se confier à leur référent par téléphone ou à un psy parce qu’ils ont le sentiment de ne pas être écoutés, et parce que les conditions dans lesquelles ils vivent ne sont pas propices aux confessions ;
  • Ceux qui vivent à 3 ou 4 dans une chambre d’hôtel à Nanterre ou à Suresnes dans un climat de tensions permanent.

Pour les travailleurs sociaux, ce sont pour tous ceux-là que l’angoisse monte. Combien seront-ils à avoir été témoins de scènes qu’ils n’auraient pas dû voir ? à avoir subi des nouvelles violences ? à avoir redéveloppé des comportements de renfermement et d’auto-défense ? Sans parler du décrochage scolaire, du maintien du lien avec les amis d’école, avec les enseignants etc.

Les appels sur la ligne 119 SOS enfance en danger ont cru de 89% sur la période du confinement. Mais derrière, quel suivi y a-t-il eu ? Combien d’enfants ont pu être réellement protégés alors que les structures étaient déjà en sureffectifs ?

De même pendant le confinement les signalements pour violence conjugales ont explosé, or dans la plupart des cas, les victimes ont des enfants qui seront tous des victimes psychologiques quand ils ne sont pas eux-mêmes des victimes de violence.

Ainsi de toutes les difficultés vécues par les professionnels mobilisés dans cette période, des semaines de 60 heures, de leur investissement sur tous les fronts de jour comme de nuit, celle qui les épuise le plus est l’angoisse. L’angoisse de retrouver dans quelques mois un grand nombre d’enfants qu’ils n’auront pas pu protégés et qui auront subis des violences, faute de suivi suffisants, faute de collègues en nombres suffisants, faute de places en structures, faute de logements pour les femmes victimes de violence.

Certains regrettent aussi que le département n’ait pas pu trouver un accord avec les villes pour que les enfants en suivi à l’ASE fassent partie des premiers prioritaires pour le retour à l’école, et même si de nombreuses familles n’ont pas souhaité remettre leurs enfants à l’école, au moins pour une partie, il y aurait pu avoir ce répit, et cette reprise d’une vie plus « normale ».

Entre l’angoisse et l’épuisement, les mois à venir et la reprise s’annoncent très difficile.

Nous considérons que votre politique de réduction des services publics n’a pas permis de mieux affronter une situation de crise, au contraire. Vous avez affaibli d’annéee en année ce service qui est au cœur des missions du département, et certainement la plus importante. Aujourd’hui ils suffoquent, 80% du personnel absent dans certaines structures. Ils craquent, ils tournent, ils partent, et vous aurez du mal à renouveler et fidéliser les équipes si des mesures de grande ampleur ne sont pas prises urgemment.

J’en citerai 4, qui sont des plus urgentes, mais nous soulignons avant l’importance de prendre le temps de travailler avec les agents, d’être attentifs à ce qu’ils affrontent sur le terrain et d’être en appui à leur engagement pour que l’aide sociale à l’enfance, protège réellement tous les enfants en danger sur notre territoire.

La première demande plébiscitée par les éducateurs est une enquête urgente, en lien avec l’inspection générale des affaires sociales, sur la situation de tous les enfants connus et suivis par vos services, en particulier ceux qui sont retournés dans leur famille d’origine, afin de pouvoir prendre les mesures qui s’imposent et sortir de cette angoisse légitime mais qui ne peut plus durer.

La deuxième c’est la reconnaissance immédiate du département vis-à-vis de tous les agents qui se sont engagés dans la période de façon exceptionnelle, et qui ont permis aussi à ce que les foyers ne deviennent pas des foyers épidémiques. Ils n’attendent pas qu’on les applaudisse car ils disent avoir faits leur travail, en revanche ils attendent d’être payés à la hauteur de ce qu’ils ont été dans cette période. Hors c’est un comble, les agents n’ont perçu sur cette période que leur traitement de base, sans que ni les dimanches, ni les nuits, ni les jours fériés n’aient été comptés. Certains se sont retrouvés dans une situation financière catastrophique alors même qu’ils donnaient toute leur énergie au service de la collectivité.

La troisième demande reprend une de nos demandes récurrentes : le renforcement des équipes de l’ASE. Lorsqu’on sait que les équipes n’ont tourné en moyenne qu’avec 20% des effectifs c’est bien que le service était déjà en souffrance avant le confinement.

Heureusement, le renfort des étudiants et des personnels détachés a montré une solidarité exceptionnelle dans cette période de crise, mais aussi avec ses limites : à la fois cela a joué dans la perte de repères pour les enfants, mais cela a aussi posé des difficultés pour les équipes en place pour travailler avec des personnes nouvelles et peu formées alors qu’il fallait faire face à des situations toutes plus ardues les unes que les autres (enfants victimes de violences, inceste, prostitution) qui nécessitent d’y être préparé.

Enfin notre dernière demande suppose là aussi un tournant urgent et majeur de la part de notre collectivité : il faut investir massivement dans la construction de logements sociaux, pour éloigner les femmes victimes de violence et leurs enfants des pères violents, et il faut également créer de toute urgence des établissements supplémentaires pour protéger les enfants.

Monsieur le Président, Cher-e-s Collègues, nous avons bien conscience que cette mission est très complexe et que des choses sont faites pour avancer, mais après une période telle que nous venons de vivre, et telle que les services de l’ASE viennent de vivre, il est urgent de remettre ce sujet au cœur de vos priorités, de redonner les moyens à vos équipes de répondre aux besoins de ces enfants et de leur famille. C’est notre mission, elle est fondamentale.