Monsieur le Président, Cher-e-s Collègues,
J’interviens à la fois sur cette délibération, et comme nous sommes pour la transversalité, j’interviens également sur les tableaux des effectifs budgétaires Cité de l’Enfance, Pouponnière et Centre Maternel. Je serai donc un peu plus longue pour cette intervention, mais vous ne m’entendrez presque plus par la suite.
En moins de cinq ans, sur le secteur de Levallois/Clichy, le nombre d’éducateurs de l’Aide sociale à l’enfance est passé de neuf à deux. À Bagneux, le nombre de travailleurs sociaux à l’EDAS est tombé de vingt-trois à six sur cette même période. À Villeneuve-la-Garenne, l’ASE n’a plus que deux éducateurs pour le suivi de cent soixante enfants placés, c’est-à-dire quatre-vingts par éducateur pour le suivi de chacun. Sur le secteur de Rueil-Malmaison/Nanterre, les médecins en PMI ne sont plus que deux, alors qu’ils étaient encore sept il y a cinq ans. Sur l’ensemble du département, on ne compte plus que deux psychologues pour tous les services confondus : PMI, ASE, EDAS.
Je pourrais égrainer ainsi longtemps cette situation, mais elle est devenue surtout extrêmement inquiétante un peu partout dans le Département. Les agents qui sont présents dehors, mais pas que, nous font part d’un manque de personnel allant de un à deux tiers des effectifs prévus dans tous les services sociaux du Département.
Dehors, ce matin, ce sont des agents qui vous interpellent et qui s’inquiètent pour l’avenir des missions qu’ils exercent, pour l’avenir de leur métier, mais surtout, ils s’inquiètent pour les populations qu’ils servent et nous nous inquiétons aussi, et ce n’est pas la première fois que nous vous le disons, car derrière les chiffres que je viens d’énumérer, ce sont évidemment des situations à la fois de détresse des personnels, d’usure parfois, de stress, provoquées par l’importance des missions à réaliser, avec des effectifs qui ne cessent de se réduire. C’est aussi de la vulnérabilité supplémentaire pour les usagers qui, bien souvent, sont déjà dans des situations extrêmement précaires. Ces personnels doivent faire face aussi, parfois, à la frustration croissante des usagers qui, faute d’obtenir des réponses, faute d’être accueillis ou accompagnés dans un délai suffisamment court pour répondre à leurs questions, expriment parfois de la colère et même aussi parfois de la violence.
Mais le pire, sans doute, pour ces agents qui font ces métiers par vocation et par souci de la protection des plus fragiles, eh bien, c’est le constat d’une perte de contact avec un certain nombre de familles, de jeunes, de personnes en précarité, qui ne s’y retrouvent plus et ne se déplacent plus. C’est le cas dans les PMI qui, depuis la mise en place de la plateforme téléphonique, observent une baisse importante de la fréquentation, en particulier, par exemple, cet été, vous savez que nous avons eu une période de canicule et, habituellement, les années précédentes, dans les PMI, il y a, un afflux important de personnes qui s’inquiètent pour la santé des nourrissons et d’habitude, les PMI croulaient sous les demandes de parents inquiets pour la santé de leur bébé. Cette année, où l’on a pourtant battu des records de chaleur, les PMI ont été, étonnamment, peu fréquentées. Je vous entends et j’écoute ce que vous dites, Madame Bécart, c’est vrai, peut-être qu’ils restaient chez eux, alors qu’avant, ils se déplaçaient dans la PMI qui était proche de chez eux parce qu’ils avaient cette inquiétude, et donc la proximité faisait effectivement qu’ils avaient moins peur de se déplacer longtemps pour aller les voir.
De même avec la réorganisation en cours, certains lieux d’accueil sont déplacés dans d’autres quartiers, voire d’autres villes, en attendant la réalisation des Pôles sociaux, et force est de constater qu’une partie des personnes suivies renoncent à une aide et à un accompagnement social.
Vous avez donc reçu mercredi dernier une lettre ouverte des agents dans laquelle elles et ils font part de leur expérience quotidienne. Mon collègue Patrick Jarry en relatait quelques passages tout à l’heure, je vais le faire également.
Une assistante familiale s’adresse à vous : face à la surcharge de travail de son référent socio-éducatif, elle ne communique plus avec cet éducateur qu’en cas d’extrême urgence, et pour ce faire, elle fait tenir son message dans l’objet de son mail pour être sûre d’être lue sur cette situation d’urgence.
Ailleurs, un éducateur s’inquiète du manque de place dans les structures d’accueil pour les enfants placés, qui, faute de place, sont mis à l’abri en hôtel. Or, l’hôtel est un lieu de danger totalement inadapté pour ces jeunes déjà vulnérables. Cela fait à peu près quatre ans que je le dis dans les interventions que je fais à ce sujet-là.
Ainsi, une éducatrice nous a rapporté récemment qu’une mineure de treize ans a été éloignée en urgence de sa famille pour être mise en sécurité, ce qui est la mission de la protection de l’enfance. Malheureusement, cette jeune fille a été placée en hôtel, et peu de temps après, ce qui n’était pas le cas avant ce placement, elle s’est prostituée.
Pour les éducateurs, le doute est maintenant permanent, puisque dans ces circonstances, le lieu du placement devient presque plus dangereux que le domicile familial.
Cet exemple dramatique soulève la question des nouveaux problèmes sociaux identifiés par les travailleurs sociaux et les associations. La prostitution des mineurs, de plus en plus jeunes, en est un, qui se développe avant même le collège à présent, mais dès les classes de CM1 et CM2. On parle de protection de l’enfance, et je vais continuer à le faire, mais je crois que le Département devrait rencontrer une association – mais il y en a d’autres –, l’ACPE, par exemple, qui s’occupe du Droit de l’enfant et de la question de la prostitution des mineurs, et nous devons regarder collectivement comment nous entamons une campagne efficace de prévention sur cette question.
Je reviens à mon intervention.
À ce titre, la disparition progressive des psychologues et des équipes du planning familial est très alarmante, puisqu’on voit aujourd’hui l’importance de leurs interventions en milieu scolaire, mais également dans des lieux protégés, des lieux discrets.
Au moment où je préparais cette intervention, hier, on m’a informée du drame survenu à Suresnes, où un jeune garçon de dix-sept ans a été tué par un autre jeune placé. Les éducateurs qui accompagnent parfois à bout de bras ces jeunes sont évidemment sous le choc. J’adresse également au nom de mon groupe aux éducateurs, aux jeunes sur place, mais aussi aux proches de ce jeune, toute notre solidarité, nos condoléances. Je crois qu’il est temps de prendre la mesure des problématiques dont nous parlent et vous parlent les agents. Ici, on ne joue pas un mélodrame qui viserait à exagérer la situation, le drame a eu lieu. J’avais proposé, comme Députée, l’an dernier, auprès de la majorité gouvernementale, l’interdiction du placement des jeunes protégés par l’ASE dans les hôtels, ceci a été refusé par le Gouvernement. J’aurais, bien entendu, fait la suite si cette mesure avait été adoptée pour permettre que tous les Départements puissent avoir des subventions supplémentaires pour pouvoir assumer cela.
J’ai entendu l’argumentaire qui consiste à dire que ce jeune relevait d’une décision du juge dans un lieu neutre, mais l’hôtel n’est pas un lieu neutre, c’est tout sauf un lieu neutre, c’est un lieu où l’on place ceux qui sont les plus vulnérables, ceux qui posent le plus de problèmes dans des lieux comme des foyers ou des familles, mais c’est ce qui rend la tâche évidemment la plus importante en protection de l’enfance, c’est de protéger les plus vulnérables, et donc, si vous les avez placés en hôtel, c’est simplement parce qu’il n’y a pas de structure adaptée pour les plus vulnérables, donc c’est à cela que la protection de l’enfance doit répondre, et c’est la mission aujourd’hui que nous devons relever et le Département des Hauts-de-Seine a les moyens de le faire. Il faut arrêter avec ces placements en hôtel.
Cela fait quatre ans que nous disons que cela peut conduire à de la prostitution, c’est le cas, à des trafics de stupéfiants, c’est le cas, et que cela peut conduire à des drames, c’est le cas également. Vraiment, je continue l’alerte et nous ne cesserons pas de le faire, quelle que soit la période, et tout le dévouement du personnel ne pourra suffire à combler ce désengagement.
J’en reviens de nouveau à la réorganisation des services sociaux que vous mettez en place depuis quelque temps et que vous continuez à faire. Au-delà de la capacité à répondre aux problèmes sociaux existants et aux nouvelles problématiques sociales, il y a la question de la capacité des agents à recueillir la parole et à apporter des réponses adaptées en fonction des publics accueillis. Le multi-accueil peut s’entendre pour permettre de répondre aux différents problèmes sociaux d’une personne, mais la spécificité de l’accompagnement avec des équipes de professionnels travaillant par secteur dans le cadre soit de la protection maternelle et infantile, soit de la protection de l’enfance, soit de l’accompagnement économique et social ou encore de l’aide à l’autonomie, doit être maintenue. Puisque tous les professionnels ont des compétences métiers précises, qui demandent toujours de la formation d’ailleurs, et ont des compétences différentes selon les problématiques sociales abordées, cela doit être conservé. Pour ces professionnels, le regroupement des services ne peut être pertinent que si les équipes de travail en fonction des sujets sociaux sont préservées.
Il faut donc que soient recrutés dans chaque Pôle des agents, des encadrants spécifiques pour chaque secteur, que pour chaque PMI, il y ait des auxiliaires de puériculture, des puéricultrices, des médecins et une ou un médecin directeur. Pour l’ASE, il faut des éducateurs référents, des psychologues, mais également des cadres issus des métiers de l’Aide sociale à l’enfance. Savoir lire une ordonnance de placement quand il y a un péril, que la personne qui reçoit le fax qui dit qu’un enfant est en danger, en extrême danger, et qu’il faut le placer, quand vous êtes une personne qui s’occupe d’autre chose, vous ne savez pas lire cette ordonnance et il arrive que vous la placiez dans un parapheur pendant quinze jours. Ce sont des situations qui existent.
Les agents sont inquiets, nous le sommes aussi, également les associations qui œuvrent pour l’accès aux droits et les CCAS des villes, vers qui se reportent de plus en plus de personnes frustrées et dans des situations sociales de plus en plus précaires. Je crois qu’en fait, nous n’assistons pas à une réorganisation mais nous assistons à une organisation du désengagement que vous avez opéré, et donc celle-ci ne réglera pas le problème des effectifs, au contraire. L’exemple à Villeneuve-la-Garenne notamment, où malgré la création du Pôle social, le service de la PMI et du planning familial n’est composé à l’heure actuelle que d’une puéricultrice et d’une sage-femme, et vous n’arrivez pas à recruter de médecin. Il faut redonner à ces services des moyens nécessaires afin, d’une part, de recruter des agents en nombre suffisant et, d’autre part, de leur garantir des conditions de travail à la hauteur de leur mission.
Par ailleurs, il est nécessaire de travailler dès maintenant au maintien dans chaque ville du département des missions réalisées par les PMI, les services ASE et les EDAS existant actuellement. Cela doit passer par l’organisation de permanences sur le terrain en plus des Pôles sociaux qui, je le rappelle, ne seront présents que sur treize villes du territoire. Cela doit être fait pour garantir des actions de proximité à destination des publics les plus difficiles à toucher et aussi pour maintenir des lieux d’accueil directs adaptés, tels qu’il est nécessaire d’en avoir pour les enfants, par exemple, ou femmes victimes de violences.
Enfin, tant que tous les Pôles sociaux ne sont pas ouverts et que cette nouvelle organisation territoriale n’est pas complètement définie et accomplie, il faut garantir aux agents sur le terrain des moyens pour poursuivre leurs missions. Ce n’est pas le cas actuellement, de nombreux agents se plaignent de ne plus avoir le matériel nécessaire pour accomplir leur travail qui leur est progressivement repris sous prétexte de la réorganisation.
Chers collègues, la modernisation des services, cela peut s’entendre et cela peut être souhaitable si elle vise à améliorer la qualité de service et de meilleures conditions de travail pour les agents de meilleures conditions d’accueil pour les usagers, mais cela ne peut se faire qu’en la travaillant d’abord avec celles et ceux qui la font vivre au quotidien et pas en faisant une gestion de la pénurie que vous avez organisée vous-mêmes. Les professionnels ont aujourd’hui l’impression que leur expérience est niée et que la reconnaissance de leur travail et des problématiques sociales qu’ils analysent est bafouée.
Ainsi, cette réforme n’est prise que sous l’angle du désengagement du Département vis-à-vis de son action pour la solidarité départementale, aveugle à la crise sociale et humaine que je viens d’évoquer.
Pour ces raisons et pour toutes celles que nous avons évoquées les quatre années précédentes, nous voterons contre ce budget et contre les tableaux des effectifs qui se réfèrent aux établissements de la Cité de l’Enfance, de la Pouponnière « Paul Manchon » et du Centre Maternel « Les Marronniers » et je dois vous dire que c’est avec une certaine colère que nous le faisons.