Monsieur le Président, chers collègues,

Vous dénoncez fermement, dans l’introduction de votre document d’orientation budgétaire, la dernière trouvaille de l’État pour contraindre les dépenses des collectivités locales : le plafonnement de leur évolution dans le cadre de « pactes financiers », ou, lorsque les collectivités ont refusé de signer ces pactes, comme c’est votre cas et celui de la Ville de Nanterre, par le biais d’un arrêté préfectoral leur imposant un taux maximal pour cette évolution.

Vos protestations sont justifiées. Il est vrai de dire que ces pactes financiers ne correspondent à rien d’autre qu’à une volonté de l’État de contrôler toujours plus les collectivités, contrevenant ainsi au principe de leur libre administration. Vous avez raison de rappeler qu’ils interviennent après des années de baisses « massives et unilatérales » des dotations de l’État. Ces baisses ont déjà considérablement réduit les marges de manœuvre de la plupart des collectivités, même si les Hauts-de-Seine et leurs excédents plus que confortables étaient pour leur part à l’abri.

Vous avez raison, enfin, de relever que ces pactes financiers ou les arrêtés préfectoraux qui les remplacent tiennent peu compte des caractéristiques propres à chacune des collectivités.

Il y a de ce point de vue une absurdité particulière, un scandale tout spécifique à vouloir limiter l’évolution des dépenses d’une collectivité qui dispose d’un excédent moyen d’un demi-milliards d’euros sur ces deux dernières années, en prenant donc comme référence un montant de dépenses bien inférieur à ses capacités réelles.

Ainsi, dans les Hauts-de-Seine, sans qu’il y ait la moindre nécessité de rigueur budgétaire, c’est une logique de réduction des dépenses publiques qui a été engagée par le Département. C’est la logique libérale de la rigueur qui prévaut depuis des décennies en France et en Europe.

C’est à cette logique que vous adhérez, y compris dans votre rapport, quand vous vous inquiétez du niveau du déficit et de la dette publics de la France, et déplorez les efforts insuffisants de l’État pour respecter les critères européens en la matière.

Et c’est aussi cette logique que vous imposez, année après année, aux habitants des Hauts-de-Seine. Vous vous félicitiez dans le rapport du compte administratif de 2017 d’avoir baissé les charges de fonctionnement de 0,2% en 2016 puis en 2017. Et dans le document que vous nous présentez, vous nous proposez des charges de fonctionnement d’un montant de 1,4 milliards d’euros, sachant que le budget adopté pour l’année 2018 en prévoyait 1,485.

En conclusion du document d’orientation budgétaire, vous nous proposez donc de diminuer ou dans le meilleur des cas de maintenir le volume des dépenses de fonctionnement. Voilà l’orientation majeure qui vous guidera à nouveau cette année dans la préparation du budget : la compression des dépenses de fonctionnement, pudiquement désignée « maintien » ou « maîtrise des charges » – et ce, alors que alors que l’Etat vous autorise à les augmenter de 14 391 724€.

Dès lors, en quoi le plafonnement que vous impose l’État vous gêne-t-il ? Votre colère est bien artificielle. Il nous semble qu’au contraire, ce plafonnement vous permet de mettre en œuvre l’idéologie d’austérité qui vous guide au même titre que l’actuel Gouvernement, sans devoir en porter la responsabilité.

Mais vous conservez tout de même la responsabilité d’utiliser ou pas ces 14 millions d’euros que l’Etat vous autorise à dépenser. Et c’est dans cette décision que vous avez à prendre, que se liront vos choix politiques.

Monsieur le Président, les budgets se suivent et se ressemblent, et, il faut bien le reconnaître, nos débats aussi. C’est pourquoi, je vous le demande, ne nous faites pas à nouveau de faux procès en intentions. Nous ne tenons pas à dépenser à tout prix. Nous ne défendons pas la dépense, nous défendons les dépenses utiles.

Ainsi, si nous vous demandons d’utiliser ces 14 millions d’euros, c’est parce que certains des habitants de ce département sont en difficulté, et ont besoin d’être soutenus par des politiques publiques ambitieuses et solidaires.

Et nous avons des propositions précises à vous faire sur la manière dont vous pourriez agir en leur faveur, grâce à ces 14 millions d’euros, sans mettre en danger les finances du Département ni rompre le contrat passé avec les alto-séquanais en augmentant les impôts.

Nous réitérons tout d’abord notre proposition de signer un partenariat avec la Région et Île-de-France Mobilité pour contribuer au financement du pass Navigo pour les séniors et les retraités, qui aujourd’hui sont les seuls à ne bénéficier d’aucune aide en matière de transports publics.

Partout en Île-de-France, et dans le département, les lignes de transports se développent, ou vont se développer. Or, beaucoup de retraités sont aujourd’hui dans une situation difficile.

Lorsque nous affirmons que pour ceux-là, le coût du pass Navigo est trop élevé, et qu’ils ont besoin de votre soutien financier pour se déplacer librement, ce n’est pas une simple vue de l’esprit.

Dans le « Portrait social de la France » qu’il a publié mardi dernier, l’INSEE révèle que le niveau de vie des retraités a cessé de progresser, et commence même à diminuer, pour la 1ère fois, pour les générations les plus récentes. Les projections montrent qu’il pourrait être plus faible à l’avenir que celui des actifs.

Pour ces retraités, demain, toutes ces lignes de transports nouvellement créées seront peut-être inaccessibles. Il y a alors fort à parier qu’ils vivront cela comme une profonde injustice, et se sentiront les laissés-pour-compte d’une métropole dont les avantages seraient réservés aux plus fortunés : prenez garde au ressentiment qui ne manquera pas, alors, de se développer. L’actualité le montre, cette question des transports, primordiale aujourd’hui, cristallise bien des tensions et des révoltes légitimes.

Ainsi, la dépense que vous pourriez engager pour les aider serait bel et bien une dépense utile : elle permettrait de garantir un droit fondamental, le droit à la mobilité. Ayez le courage d’engager cette dépense.

Une autre dépense serait absolument indispensable, celle qui permettrait d’allouer à la cellule centrale d’accueil et d’évaluation des mineurs non accompagnés les moyens humains suffisants pour qu’elle puisse réellement effectuer sa mission.

Nous déposons un vœu à ce sujet aujourd’hui donc je ne développerai pas cette question. Je me dois toutefois de remarquer que les dépenses affectées à la protection de ces enfants ont plus probablement baissé qu’augmenté, ne serait-ce que dans les proportions autorisées par l’État, depuis la création de cette cellule.

Ainsi, si « des solutions d’hébergement souples » (je vous cite) sont prévues dans le budget, ce qui doit correspondre à l’appel à projet que vous lancez pour la création d’une trentaine de places d’hébergement, vous veillez dans le même temps à ce qu’elles le soient « sans surcoût de ces jeunes » (je vous cite encore).

Cela signifie, si nous comprenons bien, que ce que vous allouez à ces places d’hébergement est retiré ailleurs, alors même que les besoins augmentent.

Or, là encore, il s’agit de garantir le respect d’un droit, le droit des enfants à être protégé, qui fait partie des compétences départementales. Je doute que l’État vous reproche les dépenses que vous pourriez faire en ce sens. Et vous pourriez difficilement affirmer qu’elles relèvent de l’accessoire, du caprice ou de la folie dépensière de quelques élus par trop charitables.

Je me dois enfin de revenir sur ce qui est au cœur de votre mission, ce qui constitue votre « compétence majeure », comme vous le dites vous-même dans votre rapport : la solidarité. Sur ce volet, loin d’être dans l’audace, le Département est plutôt dans le recul et la régression.

C’est en effet à une régression des services sociaux départementaux que nous assistons depuis quelques années.

Lors de la séance publique de juin dernier, au cours de laquelle nous avions examiné le compte administratif de l’année 2017, je vous avais interpellé sur les très fortes diminutions d’effectifs subies par les Espaces Départementaux d’Action Sociale. Vous aviez été amené à les reconnaître, mais vous aviez affirmé qu’elles n’avaient pas de conséquences, ni sur le fonctionnement des services sociaux, ni sur leur capacité à accompagner les usagers.

Vous nous aviez ainsi répondu que la baisse tout à fait considérable du nombre de personnes reçues par les EDAS s’expliquait par le fait qu’à la faveur de la mutualisation des services, les usagers ne se déplaçaient plus qu’une seule fois pour toutes leurs démarches, au lieu de plusieurs auparavant.

Nous avons donc examiné avec attention les rapports d’activité de ces dernières années. Les chiffres sont édifiants. En 2011, 109 389 personnes étaient reçues par les travailleurs sociaux dans les EDAS ; 64 723 en 2017, soit près de moins 41%. De 49 000 ménages concernés par cet accompagnement en 2011 à 24 933 en 2017 : moins 49%. Prenons maintenant le nombre d’interventions et d’actions réalisées par les travailleurs sociaux des EDAS : il prend exactement le même chemin. 230 100 interventions en 2011, 141 704 en 2017, soit moins 38% en 7 ans.

Ainsi l’activité des services sociaux est-elle bel et bien en chute libre, contrairement à ce que vous affirmiez. Aujourd’hui, ces services ne sont plus en capacité de faire face aux besoins des publics vulnérables, malgré les efforts des agents encore en place.

Les conséquences de ce délitement sont concrètes et palpables. Pour les habitants les plus fragiles, avant tout. Les cas sont nombreux de familles avec enfants en bas âge, en rupture d’hébergement, que les EDAS refusent d’accompagner, ou exclues du dispositif d’hébergement du 115 faute des rapports sociaux adéquats.

Conséquences également pour les services municipaux, les centres socioculturels ou les associations locales, qui sont amenés à compenser autant qu’ils le peuvent, et dans l’urgence, les actions qu’il revient en principe au Département de conduire.

Vous êtes allés trop loin dans les économies. Allouer aux services sociaux les moyens qui leur permettraient d’être actifs et efficaces, et de répondre pleinement aux besoins des plus fragiles : voilà donc encore un exemple de ce que vous pourriez faire des 14 millions d’euros que vous êtes autorisés à dépenser en plus l’an prochain. Voilà un exemple d’une dépense de fonctionnement qui aurait du sens, qui ferait du Département une collectivité utile aux habitants du département.

Car la pauvreté n’a pas baissé dans les Hauts-de-Seine : entre 2010 et 2015, elle est même passée de 10,6% de la population à 12,4%.

Si le Département n’utilise pas les moyens dont il dispose pour contribuer à inverser cette tendance, et à redistribuer les richesses, qu’est-ce qui justifie son existence ?

Terminons toutefois par une note positive. Nous nous félicitons de la création d’un fonds d’investissement interdépartemental, dans une démarche de solidarité entre les Départements.

Cette création tranche avec les propos véhéments relevés dans tous les documents d’orientation budgétaire des années précédentes contre les fonds de péréquation.

Elle tranche aussi avec les propos très durs contre la gestion des autres départements, accusés de laxisme.

Espérons que cette nouvelle orientation ne soit pas valable que pour un printemps, et qu’elle persiste même si demain la menace de suppression des Départements dans l’espace métropolitain était levée par un Président de la République qui à l’évidence a d’autres soucis.

Je vous remercie.