Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les conseillers départementaux,
Si le débat d’orientation budgétaire est une étape imposée par la loi avant l’adoption du budget primitif, il n’appartient qu’à vous de faire de cette formalité l’occasion d’un vrai échange sur les orientations budgétaires du département.
Je constate qu’une fois encore, ce ne sera pas le cas.
Car pour que nous puissions débattre sur ces orientations budgétaires pour l’année qui vient, encore faudrait-il que nous disposions des éléments essentiels à un tel débat, à savoir, une estimation du résultat du précédent budget et une projection du résultat de celui dont nous débattons.
Dans n’importe quelle autre collectivité où l’excédent est anecdotique, la question resterait marginale. Mais le département des Hauts-de-Seine nous a habitués, ces dernières années, à des niveaux d’excédents astronomiques, qui représentent, bon an mal an, près d’un tiers des dépenses réelles de fonctionnement. Des excédents qui, certaines années, sont plus élevés que le montant des dépenses sociales du département (hors versement des diverses allocations).
C’est pourquoi ces informations sont si importantes. Pourquoi ne pas nous les communiquer ?
Ce rapport prévoit ainsi 170 M€ de recettes de fonctionnement supplémentaires. Je ne crois pas me tromper en affirmant qu’une prudence excessive vous conduit à sous-estimer ces recettes supplémentaires, comme on peut le voir notamment dans l’estimation des recettes des droits de mutation à titre onéreux.
Ces 6 dernières années, ces DMTO ont été systématiquement sous-estimées, de 40% en moyenne. En 2021, elles étaient sous-estimées de 210 M€ au moment du budget primitif, et quand vous rectifiez celui-ci en octobre avec une décision modificative, vous les sous-estimez encore de 156 M€.
En 2022, vous prévoyez 600 M€ de recettes de DMTO : gageons que nous serons plus près de 840 M€… Avant la crise, il fallait être prudent, pendant la crise, il fallait encore être prudent, et après la crise, il faut donc toujours être prudent.
Cette sous-estimation des recettes n’est pas guidée que par la prudence. Elle a une utilité sur laquelle je reviendrai plus loin. Car on peut en faire des choses, avec 240 M€… En attendant, je considère que notre débat d’orientation budgétaire se fait sur une base en partie tronquée.
Ce rapport s’étend longuement, en revanche, sur la perte d’autonomie financière et fiscale des collectivités locales, que vous déplorez.
Moi-aussi, je le déplore, mais dois-je vous rappeler que c’est Nicolas Sarkozy qui a porté le coup le plus rude à cette autonomie financière et fiscale des collectivités locales, que vous déplorez, en supprimant la taxe professionnelle remplacée notamment par une cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, ou CVAE, dont on ne peut pas modifier les taux ? Ce faisant, il poursuivait la réforme commencée par Dominique Strauss-Kahn, qui avait supprimé la part salariale de cette taxe.
A l’époque, nous étions bien seuls à dénoncer ces mesures… Obnubilés par une idéologie libérale, vous avez tous, les uns et les autres, cherché à diminuer les impôts qui liaient l’activité économique et les territoires, sous prétexte que les entreprises payaient trop de charges fiscales. Vous avez le résultat aujourd’hui.
Les Hauts-de-Seine accueillent les sièges sociaux d’entreprises comme Total, qui a fait 16 milliards d’euros de bénéfices en 2021, ou des principales banques françaises, qui cumulent plus de 31 milliards d’euros de résultat net en 2021. L’article des Echos qui évoque la bonne santé des banques françaises est illustré par une photo de la Défense, mais dans les faits, il y a peu de chose pour le département, pour les intercommunalités, et pour les villes, de la croissance de ces résultats.
C’est votre bilan, et les propos de votre candidate à l’élection présidentielle – j’allais dire de vos candidats… – sur la nécessité d’encore baisser les impôts de production ne nous rassurent pas.
Ce rapport contient quelques points de satisfaction.
J’ai ainsi noté une augmentation que l’on peut qualifier de conséquente – près d’un tiers – du budget consacré à l’hébergement des jeunes suivis par l’aide sociale à l’enfance. Je m’en réjouis d’autant plus que cela fait des années que nous vous alertons sur l’insuffisance de ce budget : il a fallu que l’IGAS, dans un rapport très sévère, nous donne raison pour que vous réagissiez.
De même, nous n’avons eu de cesse de vous alerter sur les moyens très insuffisants données au fonds solidarité logement : il faut croire que la répétition, base de la pédagogie, a fini par porter ses fruits, puisque le budget FSL devrait augmenter de plus de 50%.
Je me réjouis également de vos nouvelles orientations concernant l’environnement, et notamment les mobilités douces, alors que la majorité dans cette assemblée n’a longtemps juré que par la voiture, érigée en symbole de liberté. Il vous a fallu bien du temps, et la crise du COVID, pour vous rendre compte que cette liberté-là, coincée dans les bouchons, est toute relative, et pollue beaucoup.
Je note également avec satisfaction que près de 60% des recrutements réalisés en 2021 concernent le Pôle Solidarités, ce qui souligne – soit dit en passant – les manques criants en la matière.
Cela fait des années que nous alertons l’assemblée départementale sur les dysfonctionnements des services de solidarité territoriale, les SST. Je crains cependant que ces recrutements ne soient pas encore suffisants pour redresser la barre et permettre au département, via ses services sociaux, de remplir les missions qui sont les siennes en matière d’accompagnement social.
Une particularité concerne plus spécifiquement le service de solidarité territoriale n° 6, qui regroupe les villes de Nanterre et de Rueil, c’est celle liées aux domiciliations.
Le nombre de domiciliations de personnes sans domicile stable attribuées administrativement à Nanterre ne cesse d’augmenter. Or, ce sont les services sociaux du département qui sont – ou qui devraient être… – chargés du suivi de ces personnes, et en l’occurrence, les services du SST 6. Tous les SST du département vont mal, mais celui de Nanterre et Rueil, plombés par cette charge de travail supplémentaire, va encore plus mal.
Un schéma départemental de la domiciliation, élaboré par les services de l’Etat en lien avec les communes et le département, est censé permettre de répartir géographiquement les demandes de domiciliation à l’échelle du département, afin d’améliorer le parcours d’accès aux droits des personnes sans domicile stable. Mais ce schéma départemental est jusqu’à présent resté lettre morte. Aucune publication depuis son adoption en 2016.
J’ai récemment alerté le préfet sur cette situation. Pourquoi, M. le président, vous ne jouez pas votre rôle pour obtenir les informations et une répartition plus uniforme des places d’hébergement d’urgence et des domiciliations dans les différentes villes des Hauts-de-Seine, et ce faisant, dans les différents SST du département.
A côtés de ces points positifs, j’ai malheureusement noté plusieurs baisses, qui s’expliquent d’autant moins que le département a les moyens de mener une politique plus ambitieuse, notamment en matière social. Des baisses ciblées et constantes depuis plusieurs années qui viendront alimenter un excédent futur, dans des domaines où l’on attend au contraire une intervention forte du département.
Ainsi, l’augmentation affichée par rapport au BP 2021 du budget consacré à l’accompagnement des bénéficiaires du RSA est en trompe l’œil, puisqu’elle ne concerne que le volume des allocations versées, alors que, dans le même temps, les budgets consacrés aux espaces insertion et à l’accompagnement des bénéficiaires du RSA devraient diminuer.
En gros, il devrait y avoir plus de bénéficiaires du RSA, puisque le volume des allocations versées va augmenter, mais ils seront moins bien accompagnés vers l’emploi.
De même, je note la poursuite des économies sur les PMI, dont le rôle est pourtant essentiel pour l’intégration des familles, et notamment les plus modestes.
Par rapport au budget primitif pour 2021, le budget consacré aux actions de promotion de la santé au sein des PMI baisse de près de 5%. On pourrait ne pas s’en inquiéter et considérer qu’il s’agit d’un simple ajustement si, depuis 2015, ce budget n’avait baissé de 135% : 4,7 M€ en 2015 contre à peine 2 M€ en 2022 !
Ne nous leurrons pas : les économies réalisées chaque année sur les PMI se paieront au centuple dans les années à venir, lorsqu’il faudra s’occuper des jeunes dont la scolarité aura été chaotique, faute d’avoir détecté à temps les troubles ou les handicaps qui auront entravé leurs apprentissages.
Il en est de même concernant les personnes âgées : vous prenez soin d’indiquer que la baisse des budgets qui leur sont consacrés (144 M€ en 2022 après 150 M€ prévus au BP 2021) « a pour objet, je cite, de corriger une estimation budgétaire jugée trop haute par rapport aux réalisations stables, constatées depuis 2019 (140 M€ en moyenne) ».
Mais si l’on compare le budget prévu cette année avec celui du compte administratif 2015, qui était de 157,20 M€, on voit bien que ce budget poursuit une baisse engagée depuis plusieurs années.
Ainsi, alors que les EHPAD ont actuellement mauvaise presse, on note que le budget consacré au financement des frais de séjour en établissement des personnes âgées dépendantes baisse de 3,55% et celui du financement de l’accueil en établissement au titre de l’aide sociale de 6,38%. Le maintien à domicile des personnes âgées, alternative au placement en établissement, baisse quant à lui de 4,23%.
Pourquoi également maintenir les financements aux CLICs à un niveau si faible, et sans tenir comptes des disparités socio-économiques, comme si un habitant de Neuilly avait les mêmes besoins qu’un habitant des quartiers populaires de Gennevilliers, de Bagneux ou de Chatenay ?
Les différences observées dans les taux de vaccination par ville dans les Hauts-de-Seine montrent bien, si besoin était, les différences qui existent dans la façon dont les habitants des villes populaires et ceux des villes plus riches prennent soin d’eux. Il suffit de mettre en regard les taux de logements sociaux dans les villes des Hauts-de-Seine, pris comme indicateur du niveau de vie, et les taux de vaccination des plus de 75 ans, pour constater une corrélation quasi-parfaite, les moins vaccinés étant sans surprise les habitants des villes les plus populaires.
On voit par-là la nécessité, pour atteindre ces derniers, d’un patient travail de prévention et d’aller vers, une différenciation dans l’approche de ces populations que nie l’uniformité des financements des CLICs.
Par ailleurs, 20 M€ sur 5 ans sont prévus en investissement pour les EHPAD et les résidences autonomie, ce dont je me félicite.
Je note que dans ce débat sur les EHPAD gérés par des sociétés capitalistiques, les Hauts-de-Seine font fort, puisque 60 établissements sur 108 situés dans le département sont dans ce cas, soit une proposition plus de 2 fois supérieure à la moyenne nationale (56% contre 24%). Elles y sont venues avec l’accord des villes et du département.
Cette aide concernera-t-elle l’ensemble de ces établissements, ou sera-t-elle réservée prioritairement aux établissements à but non-lucratif, associatifs ou publics ? Pour le dire plus clairement, maintenant que le voile se lève enfin sur les pratiques des EHPAD privés à statut commercial, cet aide ne peut venir abonder les bénéfices de ces établissements et les dividendes de leurs actionnaires ?
Cette question mérite un vrai débat au sein de cette assemblée, que vous semblez vouloir engager, car le conseil départemental est, via les forfaits dépendance et hébergement, un des grands financeurs des EHPAD. Pour notre part, nous savions déjà que nous ne pouvons pas confier la planète aux capitalistes : on voit bien qu’on ne peut pas leur confier nos vieux parents.
Enfin, pour en finir avec ce sujet des EHPAD, je voudrai en profiter pour vous interpeler sur celui du CASH de Nanterre. Je vous ai écrit à ce sujet début décembre, pour vous alerter sur son déficit : près 1,8 millions d’euros en 2021, 3,26 millions d’euros cumulés sur ces 4 dernières années.
La raison principalement de ces déficits que l’on peut qualifier de structurel réside dans le caractère très spécifique de cette unité, une spécificité d’ailleurs soulignée dans les différents rapports établis par vos services dans le cadre du contrôle de l’EHPAD. Cette unité accueille en effet un public « souffrant d’exclusion ou ayant vécu un parcours d’errance », selon ces rapports : sur les 91 résidents actuels de l’EHPAD, 62% d’entre eux proviennent ainsi de structures et services destinées aux publics précaires, 40% ont un suivi psychiatrique actif et 93% sont bénéficiaires de l’ASH.
Seul établissement francilien accueillant ce type de public, l’EHPAD du CASH n’est rien moins qu’un ultime lieu de relégation. Je souhaiterais au contraire qu’après des expériences souvent longues d’errance et d’exclusion, ces personnes soient, à la fin de leur vie, réintégrées dans la société et dans leur dignité.
Il n’est donc pas admissible, vous le comprendrez, que cette situation déjà en soi peu satisfaisante quant aux principes, fasse qui plus est peser sur un hôpital déjà fragile des déficits budgétaires conséquents.
C’était la raison de mon courrier, par lequel je demandais au Conseil départemental de prendre ses responsabilités en attribuant à l’EHPAD du CASH une subvention exceptionnelle qui tienne compte de la spécificité de cet établissement.
Suite aux très nombreuses plaintes de familles, nous pensions acquis le fait que la délégation de service public n’était pas adaptée à la restauration scolaire et à la fourniture de repas pour nos collégiens. Nous pensions acquis le fait que le département allait tirer les enseignements de cet échec – car c’est un échec – et réfléchir à une autre démarche, régie ou entreprise publique locale.
A rebours de ces engagements, vous avez annoncé en commission permanente votre choix de confier à une entreprise capitalistique, par une nouvelle DSP courant jusqu’en 2026, l’ensemble de la restauration scolaire dans les collèges, y compris les 21 établissements où elle était encore assurée par l’une des deux unités centrales de production.
De fait, parce que c’est inscrit dans les orientations budgétaires, le débat vient quand même en séance publique, comme nous le souhaitions.
Pour notre part, nous pensons qu’il n’est pas sain de confier la restauration scolaire à des entreprises capitalistiques dont le premier objectif est de rémunérer des actionnaires. Encore une fois, on ne peut pas confier des éléments aussi essentiels que la restauration scolaire, la prise en charge des personnes âgées dépendantes, la santé, à des sociétés dont la raison d’être est de rentabiliser du capital investi. Le capital coûte cher à la société, mais c’est particulièrement scandaleux lorsque ces profits se font dans des domaines aussi essentiels de la vie.
Je déplore également que vous mainteniez votre refus de subventionner la construction de logements sociaux dans les communes qui ont déjà atteint les objectifs de la loi SRU et sont au-dessus de 35%. En agissant ainsi, non seulement vous réservez vos aides aux plus mauvais élèves, mais vous déniez également à Gennevilliers, Bagneux, Villeneuve-la-Garenne, Nanterre, Chatenay-Malabry, Fontenay-aux-Roses, Malakoff, Clichy, Suresnes ou le Plessis-Robinson la possibilité de rééquilibrer les logements sociaux entre leurs quartiers, ou d’en construire dans de nouveaux quartiers. C’est d’autant plus inacceptable que le critère de 25% fixés par la loi SRU est un minimum. Au regard de la situation spécifique du logement en Ile-de-France et des difficultés des Franciliens à se loger, la part de logements sociaux dans chaque ville doit être plus important.
La question du logement abordable est la question centrale de ce département. L’espace métropolitain n’a pas d’avenir s’il nie les difficultés à accéder, selon ses ressources, à un logement social, à un logement intermédiaire ou à la propriété à prix raisonnable.
A ce titre, le sort récemment réservé à la loi SRU par vos amis du Sénat est un cadeau empoisonné. Ce n’est pas de délais supplémentaires pour atteindre le quota de logements sociaux dans les communes carencées dont le département a besoin, mais au contraire que ces communes construisent, dès à présent, les logements sociaux dont ont notamment besoin les employés, les fonctionnaires, les infirmières, les enseignants qui y travaillent, mais aussi les plus démunis. De même, notre département, l’un des plus clivés de France, n’a pas besoin de la possibilité de mutualiser l’obligation de construction de logements entre plusieurs communes d’une même intercommunalité, mais au contraire d’une répartition équitable des logements sociaux entre toutes les communes.
Il existe une réelle convergence entre la majorité présidentielle, qui s’emploie à asphyxier les organismes de logement social et réduit leur possibilité de construire, et la droite, qui ne cesse de vouloir vider de son contenu la loi SRU. La machine à éjecter les couches populaires et moyenne s’accélère dans les Hauts-de-Seine. Jusqu’où ?
Ce refus de la mixité, c’est celui de votre candidate, c’est celui de la majorité présidentielle, et c’est aussi le vôtre. Vous aurez compris que ce n’est pas le nôtre.
Car c’est bien de projets politiques dont il est question.
La crise sanitaire dont nous sortons à peine a souligné l’importance capitale des services publics, pour préparer l’avenir comme pour faire face aux crises. Oui, il y a des choix à faire. Et nous vous accompagnons lorsque vous redonnez des moyens à l’aide sociale à l’enfance ou au FSL, lorsque vous favorisez les mobilités douces ou lorsque vous promettez des moyens – dont on attend avec impatience la concrétisation – pour les quartiers populaires.
Mais nous nous opposons lorsque vous poursuivez le désengagement du département dans les PMI, dans l’accompagnement des seniors ou dans la gestion réelle de la restauration scolaire, autant de domaines où les Alto-séquanais pouvaient s’attendre au contraire à un engagement fort de votre part. Nos concitoyens les plus modestes, mais aussi les classes moyennes, tous ceux qui constituaient le gros des salariés des premières et deuxièmes lignes.
Ces baisses, tout comme votre politique sélective d’aide au logement abordable, vont venir renforcer encore un peu plus les disparités dans un département déjà considérablement clivé.
Ces orientations budgétaires ne sont pas dictées par un manque de moyens : c’est au contraire un choix politique pleinement assumé et auquel, pour notre part, nous ne pouvons souscrire.
Vous commencez à entre-ouvrir le coffre-fort : on va vous aider à l’ouvrir pleinement dans la justice et l’équité. Car comme vous l’avouez vous-mêmes, je cite M. Baguet, il y a des marges de manœuvre ». Il aurait pu dire « de grosses marges de manœuvre ».
Nous voterons donc contre ce rapport.