Monsieur le Président, Cher-e-s Collègues,
Le budget primitif que vous nous proposez pour 2020 innove à plusieurs égards.
Votre ligne éditoriale, tout d’abord, n’est pas tout à fait la même que les années précédentes. Non pas qu’elle préconise de nouvelles orientations financières, tournées vers la défense du service public et la solidarité. Mais elle propose en revanche de nouveaux motifs pour justifier, cette année encore, le choix d’un budget d’austérité.
Ainsi est-il moins question, cette fois, du plafonnement des dépenses de fonctionnement, que de l’attribution aux communes de la taxe foncière sur les propriétés bâties, et du fléchage d’une partie du produit des droits de mutation sur le futur réseau de transport public du Grand Paris Express.
Autant de motifs de mécontentement, sur lesquels d’ailleurs j’aimerais avoir l’avis de ceux parmi vos élus qui ont rejoint La République En Marche à l’approche des élections municipales.
Autant de prétextes, surtout, pour évoquer à nouveau la « fragilité des finances départementales » (je vous cite), et compresser les dépenses en conséquence, en dépit de la réalité qui est la nôtre – celle d’un Département riche au point de générer chaque année des excédents.
Le couplet est donc nouveau, mais le refrain est le même. Ainsi, ces « nouvelles sujétions » comme vous les appelez représenteraient certainement des sommes non négligeables pour la Seine-Saint-Denis.
Mais pour un Département comme le nôtre, qui dispose d’un budget de près de 3 milliards d’euros, elles sont dérisoires. La réalité dans les Hauts-de-Seine est la suivante : les finances départementales ne sont pas fragiles, elles sont même très confortables et largement excédentaires.
Il est bon de rappeler cet état de fait avant d’entrer dans le détail de votre proposition de budget, qui repose comme chaque année sur des prévisions en grande partie insincères – sur ce plan, on chercherait en vain l’innovation.
Je rappelle ainsi que vous sous-estimez vos recettes depuis des années. Montant budgété en 2015 : 1 620 millions d’euros. Recettes perçues au compte administratif : 2 175 millions, soit 555 millions de différence. En 2016, 600 millions de différence. En 2017, 272 millions de différence. En 2018, 1 637 millions d’euros au budget primitif, 1 860 millions au compte administratif : 223 millions de différence.
Cette année, vous augmentez quand même vos prévisions de 76 millions d’euros. Monsieur le Président, si nous nous fondons sur les résultats de ces quatre dernières années, ce qui paraît raisonnable, vous pourriez les augmenter de 200 millions d’euros sans crainte de vous tromper.
Il en va de même pour les droits de mutation, minimisés de 181 millions en 2016, de 224 millions en 2017 et de 172 millions en 2018. Pour 2020, vos prévisions augmentent de 27 millions, ce qui reste assez dérisoire au regard des résultats précédents. Pour que cette prévision soit réaliste, il faudrait que le marché de l’immobilier s’effondre littéralement l’an prochain – mais à ma connaissance, personne ne le prédit.
Enfin, je m’étais réjoui, lors du débat d’orientations budgétaires, du soudain accent de sincérité avec lequel vous nous aviez présenté un projet sans ligne d’emprunt. Mais voilà que cette ligne réapparaît au budget primitif, à hauteur de 98 millions d’euros – certes, c’est moins que les 237 millions affichés l’an dernier, mais c’est toujours 98 millions d’euros de plus que ce que vous emprunterez réellement, au final, c’est-à-dire zéro.
Je rappelle ainsi que vous n’avez rien emprunté depuis 2016, puisque dans les Hauts-de-Seine, une fois toutes les dépenses couvertes par les recettes, il reste toujours un demi-milliard d’euros d’excédents budgétaires.
Le budget que vous nous présentez réunit donc à nouveau tous les ingrédients pour qu’en mai 2021, nous découvrions avec effarement qu’à l’issue de son exécution, il reste plusieurs centaines de millions d’euros dans les caisses.
Dès lors, le maintien des dépenses de fonctionnement à un niveau très en deçà, à la fois des besoins, et de vos possibilités, ne se justifie en rien. Ni l’argumentation qui repose sur une prétendue « fragilité de vos finances », ni celle qui porte sur une gestion « vertueuse », ne sont valables.
C’est là qu’intervient la 2nde grande nouveauté du budget, malheureusement tout aussi illusoire que l’autre. Cette année, les dépenses de fonctionnement ne diminuent pas : elles augmentent. Voilà qui devrait nous réjouir, nous qui plaidons depuis des années pour que la manne financière dont le Département dispose soit utilisée pour proposer aux habitants des Hauts-de-Seine, et particulièrement aux plus fragiles d’entre eux, des services performants, utiles et garants d’une plus grande cohésion sociale. Et voilà qui devrait dans le même temps provoquer quelques réactions épidermiques parmi les élus de votre majorité, puisque non seulement les dépenses de fonctionnement augmentent, mais qu’en plus, celles d’investissement baissent.
Je tiens donc tout de suite à les rassurer. Ce retournement de situation n’est qu’apparent. En fait, l’essentiel de l’augmentation des dépenses de fonctionnement est due à la refonte de la péréquation des droits de mutation, à la faveur de laquelle la contribution des Hauts-de-Seine devrait augmenter de plus de 30 millions d’euros.
Quant à la hausse de 4 millions des dépenses sociales non obligatoires, de 549 à 553 millions d’euros, elle est imputable à une augmentation assez considérable du chapitre « services communs », qui va toutefois de pair avec certaines baisses tout aussi considérables : près de 8 millions en moins au chapitre « personnes âgées », près de 19 millions d’euros en moins pour le chapitre « famille et enfance », plus de 12 millions d’euros en moins en faveur des enfants et des jeunes en danger.
Le chapitre « prévention médico-sociale », lui, s’effondre littéralement, comme si les PMI n’avaient pas déjà suffisamment souffert ces dernières années ; et passe de 34 millions d’euros à moins de 10 – soit 24 millions d’euros de baisse.
La réalité est pire encore, puisque le chapitre « action sociale » fait partie de ceux qui sont les moins bien exécutés chaque année. Dans les faits, depuis 2015, les dépenses sociales ont baissé de 58 millions d’euros.
Finalement, ceux qui défendent la puissance des puissants et l’entre-soi des plus favorisés peuvent dormir sur leurs deux oreilles.
Monsieur le Président, au risque de me répéter, ces choix que vous opérez ont des conséquences concrètes et palpables, tant pour les agents qui exercent les missions affectées par ces diminutions de crédits, que pour les usagers bénéficiaires. Nous vous alertons depuis plusieurs années déjà sur l’effondrement massif et méthodique de vos prestations en matière de prévention médico-sociale et d’action sociale. Sur les espaces départementaux d’action sociale qui n’accueillent plus correctement. Sur les services qui fonctionnent en sous-effectifs chroniques.
Aujourd’hui, vos agents se mobilisent contre une gestion qu’ils jugent de plus en plus insupportables.
Ils font le récit des situations intenables auxquelles ils sont confrontés au quotidien. Une sage-femme en Protection Maternelle et Infantile qui raconte que depuis avril 2018, le Département ne veut plus prendre en charge les bilans biologiques et échographiques, et que les femmes enceintes sans couverture sociale sont orientées vers les urgences hospitalières plutôt que d’être prises en charge par la Protection Maternelle Infantile. Une assistante familiale au service d’accueil, qui raconte qu’elle travaille sur le suivi d’un enfant placé qui n’a plus de référent socio-éducatif depuis février dernier. Une infirmière puéricultrice qui vient de recevoir l’ordre de ne plus s’occuper des nouveau-nés sortis de maternité, et à qui l’on demande, à la place, de prendre en charge des dossiers Revenus Solidarités Actives ou des dossiers expulsions de logement. Une assistante socio-éducative à l’Aide Sociale à l’Enfance qui travaille dans une équipe où les travailleurs sociaux sont passés en quatre ans de 9 à 2 pour le même nombre d’enfants placés. Une autre, conduite à demander à la mère d’un jeune toxicomane de 15 ans, confié par le juge des enfants, de l’accueillir chez elle, plutôt que de le placer seul dans un hôtel – les foyers d’accueil étant saturés.
Nous disposons de pléthores de témoignages de ce type, des témoignages de détresse, émanant de vos agents en lutte, mais aussi de nos services municipaux et bien sûr de nos habitants – alors que la pauvreté continue d’augmenter dans les Hauts-de-Seine.
Monsieur le Président, je sais ce que vous allez me répondre. Vous allez me parler modernisation, mutualisation, rationalisation, efficacité. Mais je ne comprends pas comment la réorganisation du Pôle Solidarité, si elle consiste à réduire aussi massivement les postes et les crédits, pourrait aboutir à une amélioration ou même à un maintien de la qualité du service rendu.
Vous affirmez dans votre édito que les Départements « jouent un rôle d’amortisseur social en temps de crise ». Il serait grand temps de mettre en pratique cette affirmation, et d’utiliser les moyens dont vous disposez pour rétablir un peu de la justice sociale à laquelle les citoyens aspirent si fortement, dans les Hauts-de-Seine et au-delà.
Ne restez pas sourd à cette revendication qui s’exprime avec de plus en plus de colère. Rétablissez, comme nous vous le demandons, le niveau de financement des dépenses sociales que vous proposiez ne serait-ce qu’il y a deux ans, en 2017. Faites un geste en faveur des quartiers populaires des Hauts-de-Seine, dont les habitants méritent votre attention tout comme ceux des quartiers plus riches.
Plusieurs d’entre eux doivent bénéficier du second programme national de rénovation urbaine, pour poursuivre le nécessaire travail de transformation engagé il y a plusieurs années déjà. Ces quartiers en ont besoin. Les villes et leurs habitants ont réfléchi à des projets, qu’ils ont travaillés et présenté à l’ANRU.
Tout au long de ces dernières années, pendant que ces projets se négociaient, nous avons espéré, budget après budget, que vous finiriez par vous emparer de ce sujet primordial. Pourtant, aujourd’hui, alors qu’ils sont tous bouclés, pas un euro ne leur est consacré dans le budget que vous nous proposez.
Dans les recettes que vous comptez percevoir en 2020, figurent les 101 millions d’euros que vous percevrez à l’issue de la vente de l’ancien hôtel du Département, à Nanterre. Une partie de cette somme aurait pu être consacrée aux quartiers les plus populaires et aux projets qu’ils ont construits pour leur avenir.
Mais vous avez fait un autre choix, celui de ne pas vous engager à leurs côtés. Pourquoi ne pas suivre l’exemple donné par le Département des Yvelines, qui, si l’on vous en croit, serait notre partenaire, et avec lequel nous nous apprêterions à fusionner ? Celui-ci a engagé en 2018 un « plan d’amorce pour la rénovation urbaine », afin, je cite son président Pierre Bédier, « d’enclencher les grandes opérations urbaines » prévues dans le département « sans attendre les financements de l’Agence nationale de rénovation urbaine ». A cette occasion, une enveloppe de 30 millions d’euros a été immédiatement débloquée pour que les travaux puissent démarrer avant la fin 2019, et plusieurs partenaires ont mis 700 millions d’euros sur la table en faveur des 31 quartiers défavorisés des Yvelines pour les 7 années à venir – le tout, à l’initiative de son président, notre ami Pierre Bédier.
Plus de justice sociale, c’est aussi plus de moyens pour l’enseignement. Ce chapitre fait aujourd’hui partie de ceux qui baissent, à hauteur de près de 800 000€. Cette économie qui représente 0,02% de votre budget était-elle vraiment urgente et nécessaire, alors que certains collèges se trouvent aujourd’hui dans une réelle difficulté ?
Je pense notamment aux collèges d’Asnières et de Gennevilliers, qui vont se retrouver l’an prochain en lourd sureffectif. A Gennevilliers par exemple, un collège risque de se retrouver avec 1 200 élèves – alors qu’il était prévu pour en accueillir 800. C’est bien entendu impensable. Vous qui vous targuez si souvent d’être visionnaire, pourriez-vous nous expliquer sur quelles analyses se sont fondées les projections de vos services, pour aboutir à de tels décalages ? Là encore, au-delà des opérations comptables, il y a des individus, des enseignants, des parents et des enfants, qui se retrouvent ou qui vont se retrouver en grande difficulté.
Plus de justice sociale, cela passe aussi, nous en sommes convaincus, par le droit de tous à un environnement vivable et sain. Or, la transition écologique fait figure de grande absente dans votre budget. Il ne s’agit pas pour nous d’être idéologiques ; je le répète, nous considérons que votre action en faveur de la rénovation énergétique des collèges est tout à fait positive.
Mais vous pourriez considérer que la crise écologique actuelle appelle à une réponse bien plus volontariste et massive que ce que vous proposez aujourd’hui. Compte tenu des moyens qui sont les vôtres, vous pourriez investir bien plus fortement dans toutes les actions qui contribuent à réduire la consommation énergétique et les émissions de CO², notamment.
Vos finances bénéficient cette année encore de la meilleure note possible de la part des agences de notation. Que comptez-vous faire de votre AA+ ? La solidité financière dont elle témoigne ne prendrait-elle pas sens, si elle servait à assurer aux habitants du département la possibilité d’un avenir respirable et désirable ?
Je le répète : il devient urgent que vous preniez vos responsabilités en la matière, et accélériez considérablement votre action en faveur de la transition écologique. Celle-ci doit devenir le prisme à l’aune duquel il faut réexaminer l’ensemble de vos politiques publiques : patrimoine, construction, mobilités, voirie, collèges, soutien aux habitants… Vos orientations devraient en être imprégnées. Il en va de notre avenir commun.
Il devient ainsi urgent que vous vous reposiez la question du sens de votre action, et de votre existence. Cette année encore, votre budget est un budget comptable, et vous ne levez les yeux de vos calculettes que pour regarder vers le quartier d’affaires de La Défense. Vous ne promouvez ni l’égalité territoriale, ni un meilleur accès aux droits des plus en difficulté, ni la transition énergétique, et encore moins une plus grande solidarité. Vos missions profondes sont grignotées chaque année, petit à petit abandonnées.
Notre groupe veut pour sa part porter la vision d’un Département promoteur d’une politique réellement ambitieuse, c’est-à-dire sociale, solidaire, écologiste et féministe. Une politique qui se concrétise par un budget au service des plus fragiles, par un soutien aux quartiers populaires, au droit à la mobilité des jeunes. Une politique qui soutienne plus fortement les collèges, les bailleurs sociaux, la transition énergétique.
Nous avons dans ce département largement les moyens de cette politique, mais nous constatons qu’elle n’est pas appliquée. C’est pourquoi le groupe Front de Gauche et Citoyen votera contre ce budget.
Je vous remercie.