Monsieur le Président, Cher.e.s Collègues
Les choix politiques qu’une collectivité opère pour servir ses habitants, se donnent habituellement à voir dans les éditos ou les présentations. L’édito qui introduit le document d’orientation budgétaire pour l’année 2020 devrait donc en principe nous permettre de comprendre la teneur de ces choix, et d’engager le débat sur cette base.
Or, ces dernières années, cet exercice s’est avéré difficile. En effet, plutôt que d’afficher de grandes orientations, les éditos des différents documents budgétaires que vous nous avez soumis – DOB, budgets primitifs ou modificatifs et comptes administratifs, reprenaient invariablement le même propos. Celui consistant à dénoncer – à juste titre, nous l’avons souvent dit – la contrainte supplémentaire que l’Etat a décidé d’imposer aux collectivités locales depuis 2018 et évidemment avant, en plafonnant l’évolution des dépenses.
Cette ligne éditoriale nous a posé un double problème, et a rendu notre tâche bien ardue. D’une part, parce qu’elle ne dit rien de votre projet pour les Hauts-de-Seine et ses habitants, projet qui paraît singulièrement absent de votre discours, comme si tous ces documents budgétaires et comptables relevaient d’une simple question technique se posant en termes de qualité de gestion.
D’autre part, elle opère un tour de passe-passe, en donnant pour subie une politique à laquelle elle souscrit en réalité : celle de la rigueur, et de la compression des dépenses.
C’est une technique assez classique, qui consiste à faire passer les puissants pour des victimes, les grands gagnants du système pour des persécutés. Elle est utilisée quand les choix politiques ne peuvent se donner à voir pour ce qu’ils sont réellement, c’est-à-dire des choix qui renforcent les forts au détriment des plus fragiles – parce qu’ils seraient dès lors inacceptables.
Cette technique nous oblige à commencer à chaque fois par déconstruire ce mythe, et à prendre du temps à démontrer que les contraintes fixées par l’Etat ne changent rien à votre politique – puisque vous allez de toute façon au-delà de ce qu’elles vous imposent en termes d’évolution des dépenses.
Pour tout vous avouer, nous étions quelque peu curieux de savoir si vous alliez avoir recours à la même argumentation dans le contexte actuel, où un nombre croissant d’élus de votre majorité a rejoint ou aspire à rejoindre La République En Marche, à l’approche des élections municipales – et alors que visiblement, l’inquiétude monte dans les rangs de la droite traditionnelle.
A ce propos, l’exigence de transparence démocratique à laquelle vous souscrivez sans aucun doute devrait vous conduire à apporter quelques éclaircissements aux citoyens sur le processus de colonisation qui s’opère au sein de votre majorité. Qui, aujourd’hui, dispose de l’investiture ou du soutien de LREM ? Sont-ils d’ores et déjà plus nombreux que ceux qui restent fidèles à l’étiquette sous laquelle ils ont été élus ?
De tels éclaircissements nous seraient, à nous aussi, d’une grande utilité. Nous pourrions démontrer bien plus aisément à quel point votre discours relève d’un double-langage, puisqu’en réalité, Monsieur Macron, son Gouvernement qui impose aux collectivités de plafonner leurs dépenses et votre majorité appartiennent au même camp politique : celui de l’austérité.
Et pourtant, vous osez à nouveau. Vous osez dénoncer, je cite, la « tentation recentralisatrice de l’exécutif, illustrée par le contrôle des dépenses de fonctionnement des 322 plus grandes collectivités locales » – alors que vos dépenses de fonctionnement ont baissé de 6% – presque 90 millions d’euros – ces seules deux dernières années, bien au-delà de ce qui vous était demandé par l’Etat.
Vous osez nous expliquer que « la dépendance accrue des finances départementales au comportement de notre économie renforce leur fragilité », comme si vos finances étaient fragiles, vous qui affichez depuis maintenant trois années de suite un demi-milliard d’euros d’excédents budgétaires. Vous osez nous dire que vous êtes « exposés aux aléas du marché immobilier avec les droits de mutation », alors que ceux-ci ont augmenté de 100 millions d’euros depuis 2015.
Vous osez affirmer que « le financement de la solidarité sociale reste un dossier prioritaire non réglé pour les Départements », ou encore que « les Départements jouent un rôle d’amortisseur social en temps de crise », alors que la question sociale, celle qui est pourtant au cœur même de votre mission, est aussi celle qui subit le plus fortement les coupes que vous avec imposez au budget – alors que rien ne les justifie. Je rappelle ainsi que les dépenses sociales des Hauts-de-Seine s’élevaient à 570 millions d’euros en 2015, 556 en 2016, 547 en 2017, et à 512 en 2018 ; soit une baisse de plus 10% en quatre ans ! C’est ça, la réalité de vos choix politiques.
Enfin, vous osez nous resservir exactement les mêmes orientations budgétaires que l’an dernier – la conclusion de votre rapport est un strict copié-collé de celle du rapport de 2018 – alors que nous savons tous, d’ores et déjà, que vous finirez l’année 2020 avec, à nouveau, un excédent considérable.
Au moins n’osez-vous pas cette fois afficher de prévisions d’emprunts, alors que vous n’empruntez plus rien depuis 2016. Je me prendrais presque à espérer que nos remarques incessantes sur la sincérité de vos budgets commencent à porter leurs fruits. Mais il est plus probable que l’artifice soit tout simplement devenu trop gros, et que vous ayez considéré qu’il n’était plus tenable. Même si en 2019 encore, 237 millions d’euros ont été budgétés dans le budget primitif sur cette ligne.
Nul besoin d’emprunter, donc, dans les Hauts-de-Seine, puisqu’une fois toutes les dépenses couvertes par les recettes, il vous reste 550 millions d’euros d’excédents budgétaires.
Pourtant, vous osez continuer de soutenir, inlassablement, que vos choix de réduction drastique des dépenses sociales sont contraints par un contexte financier exogène, généré par un Etat qui vous l’imposerait. Ce faisant, vous accordez peu de crédit à la démocratie. Vous faites bien peu de cas de la capacité des citoyens à comprendre ce qu’il se passe réellement, comme s’ils pouvaient se laisser duper indéfiniment. Ainsi, en tablant sur le fait qu’ils sont trop éloignés de l’institution pour sanctionner cette mystification, vous empêchez qu’un véritable débat se tienne sur l’utilisation que vous faites de l’argent public.
J’accorde pour ma part plus de confiance que vous ne le faites à nos concitoyens. Et je crois dans les vertus pédagogiques de la répétition. Je tiens donc à répéter encore une fois ce chiffre qui commence à être connus de tous : un demi-milliard d’euros d’excédents chaque année depuis trois ans. Le Département des Hauts-de-Seine est riche, il ne fait face à aucune difficulté budgétaire. C’est un fait qui aujourd’hui commence à s’ancrer dans tous les esprits.
Dès lors, c’est une chance incroyable qui s’offre à vous, de faire de cette richesse un outil de progrès et d’inclusion. Pourtant, derrière les orientations que vous nous proposez, c’est un tout autre projet qui se dessine.
La première de vos ambitions, si je reprends l’ordre que vous avez établi, consiste à poursuivre la fusion avec les Yvelines. Il semble que vous ayez désormais le feu vert de vos nouveaux amis, ceux dont pourtant vous dénoncez la mauvaise gestion avec vigueur, en échange peut-être de quelques concessions sur certaines listes.
Fusionner avec les Yvelines, c’est-à-dire créer une puissante collectivité sur la base d’une communauté de richesse, et sur fond d’homogénéité sociale – loin de tout processus démocratique, puisque, faut-il le rappeler, les habitants des Hauts-de-Seine n’ont jamais été consultés sur un tel projet. Cela dit quelque chose de votre vision de la métropole, et de la place que vous voulez y occuper.
La création de cette nouvelle collectivité n’apportera rien à ceux de ses habitants qui ont le plus besoin de votre soutien. En revanche, elle renforcera certainement la ségrégation territoriale à l’œuvre dans la métropole – alors qu’il faudrait au contraire s’attacher à rendre cette dernière plus égalitaire. Et le fonds de solidarité interdépartemental mis en place par les Départements d’Île-de-France sera loin de suffire à contrebalancer les effets de ce nouveau déséquilibre que vous vous apprêtez à créer.
Vous auriez pourtant les moyens de mener une toute autre politique, en contribuant justement à faire sortir les Hauts-de-Seine d’un entre-soi des plus aisés, pour que notre département joue un rôle positif, constructif, dans cet espace métropolitain. Par exemple, en rétablissant et même en augmentant toutes les dépenses que vous avez comprimées ces dernières années en faveur de la production de logements sociaux.
Cette question continue en effet d’être au cœur du devenir de la région. L’intensité de la crise ne diminue pas. Entre 2010 et 2018, le nombre de ménages demandeurs de logements est passé de 406 000 à 721 000. Le nombre d’attributions lui, est resté stable, entre 75 000 et 80 000 selon les années. Le délai d’attente moyen était de 3 ans en 1978, de 5 ans ½ en 2010 ; aujourd’hui, il est de plus de 9 ans.
Il reste donc urgent de produire de l’offre. A cet égard, notre département continue de refuser de jouer le jeu de la solidarité. Pour le seul territoire auquel Nanterre est rattachée, six villes sur onze n’atteignent toujours pas le taux minimal de logements sociaux fixé par la loi.
Or, compte tenu de la baisse drastique des aides à la pierre par l’Etat, la production n’est possible qu’avec un fort soutien des collectivités. Le vôtre est marginal financièrement, et en baisse constante depuis 2013 – de 7,5 millions d’euros à l’époque à moins de 1,4 aujourd’hui, d’après les comptes administratifs. Vous pourriez pourtant faire en sorte que ce soutien redevienne central dans vos orientations, qu’il devienne une politique prioritaire, pour contribuer à rééquilibrer la répartition de l’offre aux niveaux métropolitain et régional.
Seconde des orientations que vous affichez, les dépenses de solidarité. Sur ce volet, vous annoncez des dépenses stables, désormais présentées sous forme de « parcours usagers » pour les rendre « plus lisibles », dites-vous.
Cette nouvelle présentation, qui fait écho à la réorganisation du Pôle Solidarités, renforce au contraire l’opacité de votre budget, en empêchant toute comparaison avec les années précédentes ; elle masque en fait le démantèlement à bas bruit des services sociaux départementaux à l’œuvre depuis quelques années.
Vous nous permettrez donc de douter de cette stabilité que vous affichez, sachant que ces dernières années, vous aviez fait les mêmes annonces pour au final baisser à chaque fois le niveau des dépenses. Je le répète, les dépenses sociales hors prestations ont diminué de plus de 10% depuis 2015.
Ces économies sur le dos des plus fragiles ont des conséquences pour ces derniers. Nos services de santé nous saisissent par exemple des difficultés qu’ils rencontrent dans le contexte actuel de délitement des centres de PMI, que leurs propres agents décrivent comme je cite « en roue libre ». Neuf millions d’euros supprimés pour ces centres au cours des six dernières années, 6 500 enfants reçus en moins sur la même période. Résultat : un suivi des familles et des enfants non assuré, une absence de médecins référents, conduisant les personnels à contacter ceux des Yvelines en cas de besoin, un secret médical mis à mal pendant les points famille départementaux, des personnels qui partent en grand nombre, épuisés, et sans perspectives d’être remplacés…
D’ailleurs, votre troisième orientation consiste à « maîtriser l’évolution des dépenses de personnel », c’est-à-dire à baisser une nouvelle fois le budget qui lui est consacré. Cinq millions d’euros en moins, sachant qu’un agent coûte environ 40 000€ par an à sa collectivité, cela représente 125 agents en moins. Les charges de personnel ont déjà baissé de plus de 8% entre 2014 et 2018. Mais la purge continue.
Dans ces conditions, il n’est pas étonnant que partout sur le terrain, des récits nous parviennent racontant les Espaces Départementaux d’Action Sociale, les services d’Aide Sociale à l’Enfance, la cellule d’accueil des mineurs étrangers isolés qui ne fonctionnent plus et qui du coup, ne rendent plus service aux publics qu’ils sont supposés accueillir et accompagner. Dans nos villes, nos services sociaux et nos associations locales n’ont de cesse de nous alerter sur cette situation catastrophique dont ils subissent eux aussi les conséquences.
Ainsi ce Département pourtant riche renonce-t-il progressivement à soutenir ses familles, ses jeunes, ses enfants, ses personnes âgées et handicapées, avec tous les reculs sociaux – et les coûts indirects pour la collectivité – que cela implique. Il est d’ailleurs l’un des deux seuls en France, avec les Yvelines, à ne pas avoir conventionné avec l’Etat pour mettre en œuvre la stratégie nationale de lutte contre la pauvreté. Cela laisse présager de l’implication future sur ce sujet de la collectivité que vous voulez créer ensemble.
Là encore, vous auriez pourtant les moyens de porter une toute autre politique, en faveur des 12,4% d’alto-séquanais vivant sous le seuil de pauvreté, et de manière plus large à tous ceux de nos concitoyens qui à un moment de leur vie ont besoin d’accompagnement, de soutien ou de lien social.
Par exemple sur le terrain des transports. Vous en faites votre seconde orientation en matière d’investissements, après le quartier d’affaires de La Défense bien entendu. Nous nous félicitons bien sûr que le Département contribue aux travaux qui permettront à un certain nombre de nouvelles lignes de transports en commun de voir le jour, et travaille à la requalification des routes qui relèvent de sa responsabilité. Mais nous regrettons tout aussi vivement que vous restiez sourds à nos demandes de soutenir financièrement les plus précaires pour l’achat de leurs Pass Navigo.
Pendant des années, nous avons réclamé que les Hauts-de-Seine prennent en charge une partie du coût de ce Pass pour ses retraités. C’est finalement auprès de la Région que nous avons obtenu victoire, ce qui démontrait tant la légitimité de notre combat que votre obstination à ne pas l’entendre. Aujourd’hui, notre Département est le seul qui ne contribue d’aucune manière à financer les transports des jeunes, de ces jeunes. Ne refaites pas une seconde fois la même erreur, n’allez pas contre le sens des évolutions sociétales qui conduiront forcément, d’une manière ou d’une autre, à ce que cette mesure soit prise – parce qu’elle est utile et nécessaire, tant du point de vue social que du point de vue environnemental.
L’évolution de nos modes de déplacement est ainsi l’une des autres questions centrales de l’avenir de la métropole, dans le contexte d’urgence écologique auquel nous devons faire face. Il y a quelques jours encore, un pic a été atteint en Île-de-France avec 600 kilomètres de bouchons. Cela devient une vraie préoccupation pour les habitants, y compris dans les Hauts-de-Seine.
Sur ce sujet également, vous auriez pu être précurseurs, innovants, en pointe. Au lieu de cela, les Hauts-de-Seine ont été les seuls à refuser de participer financièrement au travail de réflexion engagé par des équipes internationales et pluridisciplinaires sur l’évolution des grands axes routiers du Grand Paris, sous l’égide du Forum Métropolitain. Sur ces sujets, vous êtes en train de vous laisser dépasser.
Il y a d’ailleurs une absente remarquable dans les orientations que vous nous présentez : la transition écologique. Il n’en est pas question une seule fois dans votre rapport, même si nous vous accordons un satisfecit sur votre action en faveur de la rénovation énergétique des collèges.
Monsieur le Président, cette question de la transition écologique n’est pas optionnelle, ni même secondaire. Elle est urgente et prioritaire pour tous : Etats, collectivités locales, entreprises et acteurs privés, citoyens. Elle est notre affaire à tous, quels que soient notre niveau social, nos revenus, nos opinions politiques. Aujourd’hui, tout le monde le comprend.
Vous avez loupé le coche qui vous aurait permis d’être à la pointe de cette question, grâce aux moyens très confortables dont vous disposez, et c’est dommage. Il est désormais urgent de prendre vos responsabilités, et d’accélérer considérablement votre action en la matière. La transition écologique doit devenir le prisme à l’aune duquel il faut réexaminer l’ensemble de vos politiques publiques : patrimoine, construction, mobilités, voirie, collèges, soutien aux habitants… Vos orientations devraient en être imprégnées. Il en va de notre avenir commun.
Monsieur le Président, cette année encore, votre projet pour les Hauts-de-Seine est un projet austère, étriqué, conservateur et excluant. Votre politique tourne le dos à la solidarité, démantèle ou réduit les services utiles à la population, contrarie le travail de qualité des acteurs de terrain. Sa seule ambition est de conforter la puissance du Département – mais au bénéfice de qui ?000
Vous disposez pourtant d’une marge de manœuvre financière tout à fait considérable, même avec le plafonnement de l’évolution des dépenses par l’Etat. Vous pourriez utiliser cette marge pour faire bien plus : pour financer la production des logements sociaux que beaucoup attendent, pour rétablir et renforcer vos services et prestations à destination des plus fragiles, pour garantir aux jeunes leur droit à la mobilité, pour accélérer la transition environnementale des Hauts-de-Seine.
Tels seraient les contours d’un projet porteur d’une vision d’avenir, au service d’un développement plus humain et plus solidaire.
C’est là que résideraient véritablement l’audace et l’ambition. C’est à la faveur de telles politiques que l’action du Département trouverait son sens et sa justification.
Je vous remercie.